Il s'appellent Rhodes et Didier, et voici un joli récit qui raconte leur histoire.
Didier Sébilo Meudon 15/02/201541 bis av. du château92 19001 46 26 96 1107 77 38 12 26Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.Communication a propos du dressage d’un Lipizzan.
Rhodes est un Lipizzan (Favory Furka) qui m’a été confié en dressage à l’âge de 4 ans, il y a 5ans. C’est un Lipizzan de type baroque, nez busqué, fort, très fort, musclé, 1,6 m, extrêmement gentil, tout ce que j’aime. Moi, je suis un dresseur, bon cavalier certes mais sans plus, l’esprit perpétuellement en recherche d’ajustement, de tact, de perfection, tatillon sur le détail, en recherche du bon équilibre, obsédé par le mouvement en avant, qui a lu et étudié tous les maitres. Je vous invite à faire avec moi un retour sur cette aventure de dressage de 5 ans.
Comme je vous l’ai dit, Rhodes est gentil, très gentil. Curieux, voire émouvant de côtoyer cette formidable bonne volonté cette envie de bien faire, de faire plaisir à son cavalier.
Curieux de s’arrêter sur une difficulté en fin de reprise et, la nuit passée, de rependre « la reprise », le lendemain, sur un cheval qui commence là où nous avions buté la veille en faisant, impeccable, l’exercice en question ; curieuse maturation nocturne. Mais gentil n’est pas sage. Je me souviens de cette séance préliminaire de longe au cours de laquelle, juste comme-ça, juste comme un départ au trot, un geste banal, sans panique, pour se dégourdir, Rhodes a fait une courbette sautée, puis deux, puis trois, puis oh temps suspends ton vol, en haut de son bond, lentement, à la vitesse de rotation de la voûte céleste, il a basculé à l’horizontal, pour pulvériser les limites du manège, de l’espace et du temps, d’une cabriole explosive. Je n’étais pas dessus, ouf ! Combien de fois ai-je du patienter que Monsieur, debout sur les postérieurs, les antérieurs accoudés sur le balcon de l’univers, ai fini de s’entretenir avec le Créateur ; je ne suis que le dresseur, au Seigneur tout honneur.
Gentil, pas sage mais studieux. J’ai dressé six chevaux, peu, certes, mais voilà, six. Aucun d’eux, scelles français, (sels français) ou andalous n’a montré les mêmes aptitudes. En apparence, un cheval stable qui n’avance pas vite dans le dressage, qui ne cède pas à la jambe facilement et, même, vient sur la jambe et l’éperon, qui ne croise pas en « fauchant les blés » comme le font les purs sangs ou les hanovriens, qui a des allures plum plum à flanquer la rage à son cavalier qui sent des démangeaisons à la pointe de ses éperons. Puis, de minute en minute, de jour en jour, ça change. Un cheval équipé d’un turbo diesel ancien modèle, vingt minutes d’échauffement, rien à faire, vingt minutes. Puis on est dans le mouvement, mais le mouvement, rien ne peut plus l’arrêter, « il y va », tagada tagada, paisible mais increvable. Toujours pas de « faucheuse de blé », mais une harmonie dans les gestes, une élégance naturelle qui prend le dessus, une présence sur la carrière, une attention à ce qui se passe au-dessus, une disponibilité à l’exercice, sérieux, studieux. Une progression imperceptible de jour en jour, on serait presque déçu par le non progrès quotidien, et pourtant, quand on se retourne, wouah ! on a fait un tel chemin ! Car Rhodes fait des micros progrès journaliers, on ne voit rien sur une constante de temps journalière, mais il ne régresse jamais, un micro progrès est un micro progrès acquis, et il n’arrête pas de progresser, il n’arrête pas. Et, au bout de 5 ans de travail…
Les autres chevaux, en quelques leçons (pour l’un d’eux en 20 leçons), m’ont donné des gestes spectaculaires, doux passage, galop en arrière, changements de pieds isolés. Mais, après des mois, des années, rien de plus. Nous étions passés par des paliers de progrès, rapides, puis les chevaux se sont stabilisés et ont cessé de progresser. Plus possible d’élever le passage, aucun accès au piaffé, pas possible de rapprocher les changements de pieds et pas question de parler de changements au temps.
De façon moins littéraire, ça veut dire quoi des progrès progressifs qui ne s’arrêtent pas ? Ça veut dire :
- la première année, assouplissements de base, mouvement péniblement en avant, petites promenades, début de maîtrise des hanches en épaule en dedans, arrêt départ au galop de pieds ferme éventuellement en changeant de pieds, mais très très difficile accès au contre galop qui représente pour Rhodes une perturbation importante. L’année entière a été nécessaire à l’acceptation par Rhodes de la main de son cavalier qui faisait son possible pour avoir une main fixe et délicate : coup de tête, coup de tête… mais le dos de Rhodes n’était toujours pas fait alors évidement la tête et le contact fixes…
- la deuxième année le contact s’est assagit, Rhodes toujours spectaculaire en longe, début de large serpentine au galop sans changement de pied. Apprentissage des gestes de deux pistes mais du mal dans les appuyés de gauche à droite. Assimilation d’une sorte de rituel de séance de travail.
- la troisième année, progrès dans l’équilibre, serpentine au galop. Galop, diagonale, arrêt en X, changement de pied, galop puis, un jour, il a oublié de s’arrêter et a changé de pied en l’air, c’était plus simple pour lui. Comme par égarement, sans le faire exprès, une ou deux fois dans l’année des gestes suspendus au trot dans le passage d’un coin à main droite. Les gestes de deux pistes sont appris, compris, mais il faut les améliorer.
- La quatrième année, les changements de pieds sont compris, on n’en rate plus aucun sauf à cause de la maladresse du cavalier, mais Rhodes maîtrise. Les exercices de deux pistes sont compris et on peut les combiner dans tous les sens et tous les enchaînements. De façon un peu « arrachée » Rhodes fait des changements de pieds au temps au galop, mais les postérieurs passent sans rebond. Cependant, les jaillissements en avant ne sont toujours pas extraordinaires. Le rassemblé est de plus en plus claire et la diagonalisation apparait. Rhodes sait tout faire, mais tout est à parfaire.
- La cinquième année est clairement celle du parfaire. Le passage est acquis mais pas souple ni décontracté, quelquefois syncopé, Rhodes sort du placé et sa tête s’ouvre. Par ailleurs, l’accès facilité au passage lui offre une alternative aux changements de pieds au temps plus difficiles à faire pour lui, les choses se dégradent un peu. Donc retour sur le travail au galop et contre galop pour les parfaire. Mais, à la sortie du passage, le jaillissement en avant commence à se traduire non plus par un allongement, mais par des extensions, les antérieurs n’envoient pas encore des coups de poings comme le font certains chevaux, mais les postérieurs poussent, on arrive à rester assis car le dos reste souple et Rhodes part franc en avant en envoyant loin ses sabots comme pour gagner plus de terrain à chaque battue.
Voilà un témoignage. Il n’a d’autre ambition que de partager avec vous une expérience de dressage de cinq ans d’un Lipizzan et d’être un début d’échange d’expérience avec vous qui côtoyez aussi ces chevaux. Car votre témoignage m’intéresse aussi.